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29/03/01. 13h52. Usine.
Attente. Demain, dernier jour de production.
Après-demain, départ pour la Belgique. En voiture.
Si j’arrive assez tôt, je rencontrerai Eric (mon frère) chez Karl dans les Ardennes. Il faudrait pour cela qu’il ne pleuve pas et que je puisse arriver assez loin le samedi, afin que la route ne soit pas trop longue le dimanche. Je devrai pouvoir couvrir 1500 km le premier jour en partant à 4h00 du mat. Ca promet… Mais je suis quand-même impatient.
Il faire froid, gris et humide ; on dirait la Belgique en plus sâle et plus délabrée. Triste.
Ben, à part cela, Internet nous sert quand-même à quelque chose. E-mails par-ci par-la, recherches, conversations, etc… Mais c’est Kay qui en profite le plus. Par contre, comme le réseau téléphonique roumain est plus que merdique, ça déconnecte tout le temps. Agaçant.
Et puis il va falloir (en principe) trouver un terrain, construire une usine (petite) et une résidence. Tout ça au nom de la société, bien sur. Et Marc n’est pas particulièrement ravi, mais il n’a pas trop le choix s’il désire aller de l’avant. Enfin il serait encore bien capable de changer d’avis pour l’énième fois. Au vu des résultats de la saison passée… Ca craint !
Bien sur, j’ai 36.000 amis et copains à visiter lors de mon bref séjour au pays de la bière et des moules frites !…
C’est fou comme ils ont toujours le temps ici. J’attends depuis une demi-heure pour une facture à corriger. Je suis pressé de surcroît, rendez-vous à l’ambassade de Belgique à 3h pour obtenir un visa Schengen pour la sœur de Georgiana, Julia. (Encore une qui n’est jamais pressée et qui n’en fiche pas une !)
Je suis vanné comme d’habitude et je manque de sommeil. Kay de même. Elle a besoin de repos.
Mon cerveau est vide ces derniers mois. Si pas ces deux dernières années. Le stress du changement de vie et des productions me prend toute mon énergie et accapare toute mon attention. Il y a aussi l’insécurité de mon emploi. Rien de nos projets ne s’est encore réalisé. Pas de lumière au bout du tunnel. Côté Arzan, les choses tirent en longueur. Catastrophe économique en Turquie, dévaluation, dépression ; cela force Arzan à changer son fusil d’épaule. Il va devoir exporter des produits turcs plutôt que de leur importer des produits roumains et européens.
Vendredi 20/04/01. 9h10.
Modconf, usine, attente…
Les jours deviennent plus longs, plus beaux, plus chauds.
Apres les Pâques grises et pluvieuses à la belge, ce petit soleil de printemps a de quoi réjouir l’âme roumaine.
R.A.S.
Course habituelle pour placer les productions à venir. Projets d’achat pour une nouvelle voiture au nom de notre firme en Roumanie. Enfin ! Je devrais rentrer la Citroën Berlingo en Belgique dans les 15 jours. Ce qui nous laisse très peu de temps pour cette augmentation de capital destinée à l’achat du véhicule.
Dans 8 jours, Kay rentrera en Belgique pour une dizaine de jours, histoire de rendre visite à sa Moman, frère et sœur. Je crois qu’elle est très impatiente de les revoir. C’est que la vie en Belgique flamande est fort différente de la vie ici.
Si nous avons le temps et les moyens, en juin ou juillet, nous partirons en Espagne ou en Italie. On peut toujours rêver, non ?
Tous les projets que j’avais avec Arzan sont gelés pour l’instant. A cause de la chute de la Livre turque. –72% en un mois…
10/04/2001. 14h00.
Ca y est, je suis de retour au pays de Vlad Dracul. Pour cela, deux jours de conduite plutôt éreintante ont été nécessaires. Mais le paysage valait le coup d’œil.
Je suis dans un établissement qui a la prétention d’être une brasserie belge. A la roumaine…
Avenue Dorobantilor. (Av. Des Fantassins). Dans un quartier chic… Qui te fait plutôt penser à la rue du Brabant à Schaerbeek qu’à l’Avenue Prince d’Orange à Uccle…
Quelques chiens de rue pioncent ou vaquent à leurs affaires; quelques vieux et quelques gosses font la manche; des vendeurs dans des aubettes sans licences d’exploitation vendent de tout sur les trottoirs; Quelques maffieux nouveaux riches parvenus se parquent n’importe ou, n’importe comment, leurs gros bacs rutilants leurs assurant leur statut social et l’impunité.
Bucarest…
Ce matin, j’ai poireauté une heure à la banque afin de retirer de l’argent avec la carte Visa. Routine. Perdu une heure pour trouver une place de parking et soudoyé un ouvrier du bâtiment pour qu’il me laisse placer la Berlingo sur le chantier… 10.000 lei. 16,5 BF. Routine. Roumanie, Bucarest…
Pays de Cocagne pour rats, requins, arnaqueurs et politiciens véreux. Après eux, les mouches. L’Europe et le peuple peuvent attendre et même crever la bouche ouverte. Ca ne dérange personne au pouvoir.
Mais la mentalité générale à Bucarest y est pour quelque chose. Donne la possibilité à n’importe qui de s’enrichir et il deviendra comme tous les pourris du coin.
J’ai une gueule d’enfer. J’ai pris du poids en Belgique, resto tous les jours. Je me suis empiffré, comme si je devais rattraper un retard culinaire urgent.
Toi et moi nous avons quand-meme une tronche de durs. Ca aide parfois et ça fait surtout flipper les gonzesses… Mais si nous pouvions utiliser ce que nous avons dans le coco pour faire avancer le Schmilblick, ça ne serait pas de trop. Mais nous ne sommes pas assez pervers. Nous ne le serons jamais.
Dire qu’à nous trois, toi, Patrick et moi, nous pourrions faire concurrence à l’Encyclopédie Brittannica, serait fort de café, mais je ne suis pas trop loin d’une image assez correcte… Sans fausse modestie, bien sur… Mais cela nous sert à quoi dans la pratique de tous les jours ? Regarde tous ces mecs qui ne savent rien et qui ne s’intéressent à rien sauf au fric et à leur pouvoir. Leur situation est assurée. Quant à nous, nous oscillons entre les scrupules, notre moralité et le rêve du devenir. Ne nous reste-t-il donc que l’Art ? En tant que petit amateurs, bien sur…
En Europe, l’opportunisme est une chose rarement appréciée. Ici, c’est le nec plus ultra. Le sport national. Marche ou crêve donc. Faudra-t-il apprendre à marcher ?
Voilà. J’ai bouffé ; un steak avec des pommes de terres paysannes (rissolées+lard+oignons+gratin). Deux Leffes blondes…Si ! Ça existe ici ! J’attends le café.
A côté de moi deux jeunes Français, accompagnés d’une Roumaine, discutent le bout de gras. L’un essaye d’épater l’autre avec ses précédentes expériences d’expat. : Hongrie, Tchéquie, Pologne, Tokyo, Istanbul, il en remet, histoire de faire bonne mesure. L’autre prête l’oreille, hoche la tête, lance une réplique de temps a autre. La gonze ne pipe mot… (Je sais, elle pipe peut-être, mais pas à table !)
Il en a plein les bottes de la Roumanie, le narrateur. Apres ça terminé! Il veut rentrer en France. Fini les postes à l’étranger. Son expérience dans les Carpates a été pire que tout.
Deux mecs, des Roumains, viennent s’installer à une table adjacente. Observant mon geste d’écriture, l’un barbu et lunettes, fait signe du chef à son compère qui se retourne. Le barbu m’observe, un léger sourire sur les lèvres. Je lui retourne un regard mi-figue, mi-raisin.
Deux femmes en face de moi papotent, penchées par-dessus la table. L’une, vêtue de noir et décorée d’un beau foulard imitation panthère, fait admirer un jeu de photos photographiques à sa comparse et tient le crachoir depuis au moins une demi-plombe. L’autre, poliment, sa jolie main sur la bouche pour étouffer ses bâillements, écoute en arrivant à masquer son ennui. Elle me fait penser à Patricia, une Anversoise dont j’ai été amoureux il y a plus de quatre ans. Délicate, distinguée, classe, elle te plairait à toi aussi. La femme léopard est plutôt vulgaire, style parvenue qui a besoin d’un public pour se mettre en valeur, et y va fort. Accompagnant son discours de mimiques et de gestes appuyés de ses mains. Pendant que Patricia écoute ses yeux se promènent.
Les deux Roumains d’à côté découvrent la Gueuze Lambic. Rapidos, l’un d’entre eux fonce déjà vers les jokes. Ça se comprend.
La pitance a été servie à la table des Français et l’occupation mandibulaire ralentit fortement le monologue relatant les exploits du jeune conquérant des pays de l’ex-Union Soviétique. Ce qui ne l’empêche pas d’en placer une de temps en temps entre deux bouchées, vite fait bien fait. Ponctué de Euh… Comme savent si bien faire nos voisins du sud. Chez eux aussi, la Gueuze Lambic tient une place d’honneur.
Bon, ça suffit. Je vais faire une vidange et je me casse. Tchao !