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Chroniques Godoniennes Intermede…

de (23-10-2006)

INTERMEDE. 07/10/2002. 11H00.

Je prends un break dans la rédaction de mes chroniques. D’abord je constate à relire et retaper ces notes prises parfois journellement et parfois épisodiquement, que je tourne en rond dans mon petit monde. Je deviens égocentrique, conditionné par la vie et les relations que j’ai ici. J’ai perdu de l’imagination débordante dont je faisais preuve il y quelques années et ou je parvenais à m’évader par des élucubrations abracadabrantes et pittoresques. Il est vrai que je mets un point d’honneur à rédiger toutes les notes prises jusqu’à ce jour, pour terminer au moins cette tache là. Depuis trois ans tout s’est résumé à métro-boulot-dodo.
Nous somme dimanche et pour la première fois depuis six semaines je n’ai pas travaillé le samedi. Je suis revenu à un horaire de boulot plus régulier et recommencer à me nourrir plus normalement. Je suis enfin plus reposé et me sens plus dispos. J’ai donc besoin de me relaxer sur le papier. Avec Nathalie qui à peine 19 jours d’existence, nous ne nous lançons pas encore dans des expédition ou des safaris…
Je prendrais donc l’air sur le papier et si tu le veux, je t’invite à m’accompagner dans mon excursion champêtre.

Tu aimes la pêche, non ?

Imagine une vaste et riante campagne au paysage vallonné, parsemée de bocages et de prés, parcourue de ruisseaux et sillonnée par une rivière au chant clair et joyeux, ses méandres ombragés par des saules indolents.
Le vent doux fait ondoyer les blés murs d’une caresse langoureuse sous un ciel azur aux nuages nonchalants. Les ramures des arbres murmurent sous la brise, faisant chœur au chant des oiseaux.
Tu marches depuis une demi-heure d’un pas agile, sentant l’air de ce début de septembre t’emplir les poumons d’une agréable fraîcheur. Ton panier de pêche d’osier tressé en bandouillère et tes cannes à la main, tu te diriges vers un petit lac sommeillant au creux d’un vallon. Tu abordes son rivage et t’arrêtes un moment au sommet d’un versant. Sans empressement tu observes ton petit paradis. Comment le lac est-il orienté ? Où sont les arbres, les roseaux, les nénuphars ? Tu scrutes l’étendue, à la recherche d’un troupeau de carpes, aux nageoires dorsales flirtant avec le miroir de l’eau. En vain. La température a baissé et les mémères fouillent le fond vaseux en quête de mollusques et autres animacules. Tu choisis donc de t’installer à l’abri des roseaux, la vase à leurs pieds étant une source de nourriture, il ne peut y avoir que du poisson. De plus, une nappe de nénuphars s’étend des roseaux vers le large du lac. Bon signe, l’endroit est riche en végétaux, donc en faune aquatique de toute sorte ainsi que de petits et, par logique, de plus gros poissons.
Une trouée entre les roseaux t’offre une cache idéale, tu vas pouvoir monter une longue canne dont les trois derniers éléments sont pourvus de fins anneaux et d’un petit moulinet à tambour. Le sol est légèrement boueux, mais tu es chaussé de bottes étanches tu n’as cure de ce petit désagrément qui fait partie des aléas de la pêche.
Tu deposes ton panier et tes cannes. Patiemment tu sors les supports de cannes et le matériel indispensable à l’action de pêche. Tu as également préparé une amorce pour la carpe et tout venant, à base de chanvre, de chapelure, de son, ainsi que de vers de terre débités en petits tronçons et mélangés au tout. Un petit paquet de sucre vanillé confère au plat une saveur, paraît-il, irrésistible pour la grosse commère.
Un instant tu hésites : Monteras-tu également deux cannes à lancer pour des lignes de fond ? Non. Les roseaux et nénuphars constituent des obstacles ou tu t’empêtreras bien vite. Une seule canne suffit.
Tu plantes les supports de canne, montes la canne en entier, sans fil, et la places. La pointe t’indique maintenant où tu dois lancer ton amorce. Tu confectionnes, de ton amorce compacte, trois boules grosses comme des oranges et les lances en triangle, la première en tête du scion et les autres un peu en retrait, de part et d’autre de la pointe de canne. Voilà.
Tu retires la canne et ôtes les trois premiers éléments. Patiemment, tu montes le moulinet, dégages le fil et le fait passer entre les fins anneaux. Tu choisis un flotteur bien équilibré d’un gramme, à la longue antenne, le glisses sur la ligne et choisis un bas de ligne adéquat a la grosseur du corps de ligne, conscient que la différence de diamètre ne peut dépasser 0,04 mm. La ligne fait 0,18 mm, le bas de ligne fera donc 0,014 mm, monté avec un hameçon de 14 en fer forgé a la courte hampe. Ce qu’il y a de plus solide. C’est essentiel pour la carpe qui est un animal puissant capable d’accélérations étonnantes pour son corps râblé. Tu refuses d’utiliser un fil plus gros. Tes chances diminueront d’autant et t’ôteront l’opportunité de prendre de plus petits poissons en attendant la carpe convoitée. De toute façon, la lutte se fera en finesse, la ruse et la force de la carpe contre ton habilité à manœuvrer la canne au fin fil dont le moulinet est sensé empêcher la rupture.
Tu équilibres ton flotteur à l’aide d’une plombée logarithmique à la fine grenaille, ayant soin de centrer correctement celle-ci. C’est que chaque détail à son importance ; les poissons, sensibles de la bouche, recrachent à la moindre anomalie ou trop grande résistance toute chose engamée. Il faut donc que ta ligne, une fois montée, soit parfaitement équilibrée.
A présent, « tu prends le fond ». Tu as monté un plomb à mesurer le fond sur ton hameçon. C’est une pince en forme de boule dont les deux parties, en forme de demi-sphère, se referment sur l’hameçon grâce à un ressort. Une fois celui-ci enserré dans son étau de plomb, tu peux descendre ta ligne à l’endroit ou tu as amorcé et lorsque le plomb touche le fond, la ligne tendue, tu observes la distance entre le flotteur et la surface de l’eau. Si celui-ci dépasse, la ligne est sur le fond, si celui-ci est immergé, cela signifie que l’èsche traînera au-dessus du fond. Pour la carpe, il faut pêcher au moins 10 cm sur le fond. Tu décides de laisser 20 cm sur le fond, le premier plomb de la cendrée reposant dans la vase.
Le réglage effectué, tu ramènes le plomb de fond, l’ôtes et enfiles un petit ver de terre sur l’hameçon. Le supplicié essaye bien d’échapper à son bourreau, mais le monde étant injuste, c’est toi qui gagnes de toute façon.
Le ver, transformé en appât pour poissons, se retrouve à la baille.
Tranquillement, la canne posée, tu ranges tes accessoires, sors le dégorgeoir et déplies l’épuisette. Ton thermos de café à portée de main, une vielle boite de conserve vide fera office de cendrier, un petit sac en plastique servira aux déchets, parce que une fois terminée l’action de pêche, tu ne laisseras derrière toi aucune trace ni crasse…
Tu t’installes sur ton panier et satisfait, tu humes profondément l’air du lac.
Tes yeux fixent le flotteur par la trouée dans les roseaux. Moment de flottement. Odeur de l’eau, brise dans les roseaux, murmure des arbres, chant des oiseaux, symphonie de la nature ; ton regard se perd sur l’onde au changeant miroir. Tu te sens en paix avec l’Univers entier. Cet instant devrait durer éternellement. Avant et après ne comptent plus. Le poisson ne doit plus mordre, il briserai l’enchantement.
Mais c’est toi qui le brises, bêtement pour te verser une tasse de café noir sucré et t’allumer une clope. Bête reflex de bébé qui associe le bonheur é la tétée maternelle. C’est freudien. Je nous pardonne.
Ton cerveau est vide à ce moment. Caféine, nicotine et nature. La pêche n’est qu’un prétexte. Ici il n’y a pas de pollution, pas de bruit, pas de stress, pas de femme, pas de boulot, rien. Rien qui ne soit d’un cadre naturel propice à une méditation halieutique. Tu sens ton sang battre dans tes veines. Tu respires plus amplement et plus lentement. Les couleurs te semblent plus vives et tes sens plus alertes. L’effet de la caféine et de la nicotine combinées, sans doute…
Mais déjà, le flotteur bouge. Il se dandine et fuie latéralement. Tu n’attends pas trop. Un maniement de la canne du poignet et voilà un poissonnet ferré. Le frein à peine serré du moulinet ne cède même-pas. La victime est un frétillant gardon d’une quinzaine de cm. Il est pris dans la lèvre ; tu le décroches prestement et le rends à son élément naturel. Tu choisis une autre victime sacrificielle dans la boite à vers et le rituel accompli, tu relances la ligne, cette fois un peu plus en delà du coup.
L’odeur de l’amorce au chanvre te titille les narines. Tu te rallumes une cigarette, bois une gorgée de café, te relèves, ouvres ton panier et en ressors un chapeau australien de bon ton pour les parties de pêches. Tu le visses sur ton crane ; le vent a fraîchit.
Pendant une heure, tu continues à jouer avec les gardons et autres brèmes bordelières, rotengles et ablettes. Dame Carpe se fait désirer. Tu amorces de manière puissante et régulière, lançant plusieurs mètres au-delà du coup, mais te concentrant sur celui-ci. C’est que la reine du lac est méfiante, mais grosse mangeuse.
Attaque brutale ! Tu ferres vite, mais déjà le moulinet se dévide prestement. Rapidement tu ramènes la canne, déboîtes les éléments avec le moulinet et serres le frein délicatement. Doucement, tu tentes de ramener le poisson vers la berge. Mais celui-ci tire de manière erratique tantôt a gauche, tantôt à droite. Tu le laisses repartir et le reprends systématiquement. C’est que si tu bloques le moulinet tu risques de casser net. Mais ce n’est pas une carpe, sans doute une perche ou un gros gardon. Il commence à fatiguer et prudemment tu le ramènes vers toi. Il tire encore un peu et fait des huits, mais le moulin cette fois est bloqué et le poisson est près de la surface, le flanc à fleur de l’eau. C’est une perche d’une trentaine de cm. Prudemment tu te penches et saisis l’épuisette. Tu l’introduis dans l’eau en prenant soin de ne pas faire de geste brusque et doucement tu amènes la perche au filet. Voilà qui est fait. Tu poses doucement la bête sur le sol et pendant qu’elle se débat prends le dégorgeoir. D’une main tu l’immobilises et de l’autre tu tends légèrement le fil et fais glisser le dégorgeoir le long de celui-ci. Elle a l’hameçon au fond de la gorge, Un petit coup et tu la décroches. Tu la saisis doucement et l’observes un instant. Beau poisson dont la tête fait un tiers du corps argenté aux rayures noires. Ses nageoires d’un rouge orangé en éventail se redressent. Avec prudence tu la remets à l’eau. Tu réamorces le coup, la lutte ayant fait fuir les autres poissons. Te remontes un ver sur l’hameçon et relances encore plus loin, en ayant donné plus de fond à la ligne.
Café, cigarette. L’attente reprend.
Rien.
Pas un gardon ni ablette.
Des grosses bulles viennent crever la surface par paquet.
Tu retiens ton souffle et te penches, saisissant déjà fermement la canne, prêt au ferrage. C’est une carpe, reconnaissable aux grosses bulles qui se déplacent vers l’esche. Une tanche ferait de petites bulles. La touche est également différente ; la tanche chipote et n’engame pas immédiatement, elle prend l’esche dans la bouche et se redresse avant de prendre son repas. Le flotteur se met alors à plat sur l’eau, et tu dois attendre qu’il disparaisse avant de ferrer. Mais Dame Carpe a une touche franche et brutale et dès qu’elle se sent piquée, elle prend un départ à la Ben Johnson, mais sans anabolisants… La carpe développe en traction deux fois et demi son poids. Si elle pèse 5 kg, elle va tirer 12, 5kg plus le poids de son corps… 17,5 kg… Qui explosent au bout de la ligne ! Le moulinet a intérêt à être desserré au max.
Ca y est ! Le flotteur plonge brusquement et tu ferres sec ! Instantanément la bête fonce dans un sprint désespéré, le moulin se dévide à une vitesse affolante : rrrrrrrrrrrr… A toute allure tu ramènes la canne, déboîtes les deniers éléments et serres légèrement le frein. Mais elle tire dur, la carpe. Tu la laisses encore filer et observes la direction qu’elle prend. Merde ! Elle fonce droit vers les nénuphars ! Elle va essayer d’enrouler le fil autour d’un paquet, manœuvre bien connue. La tu dois serrer un peu plus le moulin. Au bord de la casse, tu essayes de ramener. Dur. Subitement, ca mollit. Tu crois un instant qu’elle a rompu la ligne, mais non, elle revient sur sa nage. (Je ne peux pas dire qu’elle revient sur ses pas…) Rapidos, tu moulines à toutes berzingue, pour regagner du fil. Boum ! Le fil se retend ! Tu sens les vibrations provoquées par les chocs qu’elle produit alors qu’elle se retourne dans l’eau et frappe de sa queue ou du rostre de sa nageoire dorsale le fil qui la retient. Là tu sues un coup. Parce qu’à ce moment, tu ne connais pas encore la taille de l’animal, ni son poids ; les petites carpes nageant plus vite que les grosses… Sauf si c’est une carpe royale, de toutes façons, si c’en est une, les carottes sont cuites. En tous cas si elle a 4 à 5 kg, tu ne la prendras jamais avec du 0,14 mm de bas de ligne. Même pas avec du 0,40 mm… Elles sont biens trop puissantes et rapides.
Pendant 20 minutes, tu luttes avec le poisson et lui avec toi. Il est intelligent et utilise tous les obstacles et accidents de terrain sous l’eau. Toi, tu le laisses aller, le reprends, essayes de l’empêcher de rentrer dans les nénuphars. Une crainte t ‘assaillit : pourvu qu’elle ne revienne pas dans les roseaux ! Là tu ne pourras rien faire. Mais la bête essaye vaillamment de gagner le large ou les rives plus lointaines, et visiblement, la ligne ne s’étant pas encore rompue, la carpe ne doit pas être de taille monstrueuse. De toute manière, avec du 0,14 mm de bas de ligne tu as peu de moyens de t’en rendre compte. Celui-ci tient 1,5 kg, mais dans l’eau sa résistance est doublée. Elle doit faire dans les 3 kg. Oui, c’est théorique tout ca…
Enfin, tu parviens à l’attirer vers le rivage, mais elle lutte encore courageusement. Pendant quelques minutes encore, tu la « fatigues ». Ca y est, elle est à fleur d’eau. Elle doit bien friser les trois kilos et faire 50 cm. Belle bête, une carpe miroir. Prudemment tu amènes la belle à l’épuisette, en prenant soin de ne pas sortir la tête du poisson hors de l’eau, un coup de queue brutal au dernier moment peut anéantire tous tes efforts.
Enfin ! Elle est dans le filet ! Posée sur la berge, elle t’observe d’un œil rond, sa bouche réticulée cherchant l’air, ses ouies s’écartant au même rythme. Elle est prise dans le palais, tu la libères vite de cette cruelle douleur. Ton cœur battant la chamade. Tu la prends dans tes mains sans oser la serrer trop fort, plein de respect, de compassion et d’affection pour ce vaillant adversaire que tu as vaincu. La chance a été de ton côté cette fois. Tu sens dans ta paume son cœur battre aussi fort que le tien. Religieusement, tu la remets à l’eau…
Tu rallumes une cigarette.
Les prochaines heures, tu vas les passer à essayer de piéger et de vaincre tes redoutables et respectables adversaires, y laissant bas de lignes et flotteurs. Les carpes déjoueront tes pièges et t’entraîneront dans les leurs. Mais c’est pour cela que tu es venu, et pour le cadre naturel qui te procure ce que la ville ne sait de donner.
Tu rentreras au soir, fourbu mais heureux, te jurant un peu tard, que la prochaine fois tu seras un peu mieux préparé.
Irons-nous un jour pêcher ensemble ?

La suite au prochain numéro.

Alain.

Ecouri



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