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ENVOYE
15/10/01. 10h30. Braila.
Apres le branle-bas de combat du au déménagement du mois passé, les enfantements de la rentrée scolaire et la compétition du début des productions, je suis plutôt à cran.
De plus une guerre froide s’est installée entre Georgiana et Kay, ce qui me préoccupe très fort. Elles ont tendance à s’accepter de moins en moins. Comme Suzy et Karma nos deux chiennes d’ailleurs… Jalousie de femmes, différence de cultures et manque de psychologie réciproque ainsi que la crise d’adolescence de Kay pour faire bonne mesure. Pour la cerise sur le gâteau, nous avons demandé à la spécialiste en tous genres, la sœur de Georgiana, Julia, de mettre son grain de sel à la situation… Elle habite en effet avec nous pour le moment. Trois gonzesses sur le râble ! Tu vas dire que je suis complètement cinglé et tu auras raison. J’essaye de calmer le jeu, de jouer les intermédiaires, de faire le papa, le mari, le beauf, le psychologue et d’utiliser ma burette, ancien modèle en cuivre jaune très prisée par les antiquaires, afin d’huiler la machine. Peine perdue.
J’ai le sentiment que ma femme est prête à me claquer entre les doigts. L’envie de mettre Julia à la porte ne me manque pas, mais je me retiens par humanité envers les animaux… L’armée du salut n’a pas encore entendu parler de la Roumanie ou bien trop… Donc je la garde, comme les chatons qui sont nés et que je n’ai pas eu le courage d’euthanasier… Eux au moins y font pas chier…
Bien sur, la plupart de nos amis roumains prétendent que c’est Georgiana qui a raison et que je dois être plus dur avec Kay. Mais amis belges, français et autres occidentaux me disent eux que Georgiana est adulte et doit faire preuve de plus de psychologie…
Tout le monde a raison ! Comme dit le rabbin…
Sauf que Kay est dans un état émotionnel fragile, idem pour Georgiana et ce n’est pas en étant dur avec ma fille que je vais obtenir un résultat. Bien au contraire ; il faut de la patience et de la compréhension avec les adolescents. C’est l’age de la révolte et de la critique en plus.
Ma femme ne peut attendre de moi d’élever ma fille comme elle-même l’a été. Kay est déracinée ; autre pays, autre langue, autre culture, autre mentalité, autre école et une famille artificielle. Je suis son seul point d’ancrage dans ce pays.
Récemment elle m’a dit : « Je n’ai pas l’impression d’avoir une vie de famille ici ! » Bon. Elle me disait la même chose en Belgique lorsqu’elle vivait avec sa mère… Je crois surtout qu’en Belgique je lui manquais et ici sa mère lui manque.
J’ai peur que le conflit aille trop loin et que ma petite famille éclate. Tu sais, c’est moi qui tiens tout sur mes épaules ici, financièrement et familialement.
Tiens, encore un détail : Mes femmes n’ont absolument pas les mêmes goûts, mais alors pour rien. Ca n’arrange rien.
De toute manière, il y a un fossé, un précipice plutôt, entre les occidentaux et les gens de l’Europe de l’Est.
Notre vision est panoramique, ainsi que nos connaissances, sans oublier notre esprit critique. Ici, la vision est souvent plus que restreinte. Ceci mène souvent a des conflits lors de discussions portants sur de sujets plus que généraux. Je le constate tous les jours, dans ma relation de couple et dans des situations banales au niveau social. Tous les couples mixtes, ici, connaissent cela. Et puis dans les relations avec les Roumains en général.
Tu vois, ou la correctitude est chez nous une attitude normale ou presque, elle est ici considère comme un faiblesse, comme une forme de niaiserie. Ici, il faut être « smecher » (prononce : SCHMEKER), ce qui signifie : roublard, rusé, malin, arnaqueur… Tu dois constamment être sur tes gardes afin de ne pas te faire entuber. Gare ! Sans planche à steak dans ton froc (de préférence la grosse en chêne, celle que tu utilises pour les cotes à l’os d’un kilo… Et mise à l’arrière bien sur, bêta !) tu risques de te faire mal et de ne plus t’asseoir de si tôt.
Que n’ai-je entendu : « Tu n’es pas assez smecher ! » De la part de ma femme, sa sœur, leur mère, (Le père non…) les amis et amies ; au point de me fâcher régulièrement à ce sujet, tenant mordicus à mon intégrité morale. L’arnaque est un sport national. Il se pratique à tous les niveaux, des gouvernants qui fiers de donner l’exemple de brillante manière, caracolent en tête du peloton, jusqu’aux Gitans en passant par tous les échelons de la hiérarchie sociale. Tu es bien étonné, ici, lorsque tu tombes sur une personne complètement désintéressée.
Vain Dju, cette directrice se fait attendre. Cette dame n’est pas vraiment ponctuelle, mais cela me laisse le temps de gribouiller.
J’ai dépensé une fortune ces derniers mois, avec le voyage en Belgique et la venue de Maman, l’école de Kay, le déménagement et les autres fantaisies. Je me retrouve pratiquement le cul nu. La plus grande prudence s’impose…
Je dois t’avouer que je suis bien fatigué, physiquement, émotionnellement et psychiquement. Mais je n’ai pas le choix et dois faire comme le Nègre de Patton (ou était-ce de Mac Mahon ? En tous cas c’était un intello…) : Continuer.
Au niveau boulot ça va, mais ça pourrait aller mieux. J’ai raté quelques pièces et les clients n’ont pas apprécié. Mon patron non-plus. Ca se comprend. Je ne peux pas dire que cela soit totalement de ma faute, puisque je gère tout tout seul et que je n’ai pas le don d’ubiquité. Seulement une trop grosse erreur peut nous faire perdre un client, si pas le business, donc ma situation. Je marche sur un fil. Rien n’est facile, mais ce n’est généralement le cas pour personne. Je suis conscient de ne pas etre le meilleur ni de posséder tous les avantages ou instruments pour faire face à la situation, mais je donne tout ce que j’ai dans le ventre.
Mais si je me casse la gueule, tout le monde tombe ; Moi, Marc, Georgiana, Kay, Julia, Maman…
Il est bien évident que je ne suis pas le seul être au monde dans une situation précaire, loin s’en faut. D’un autre point de vue les choses pourraient etre pire n’est ce pas ?