5
ENVOYE
26/04/01 ? Modconf. (Je n’ai pas mis la date, mais au verso je retrouve un autre écrit du 27/04/01, donc je suppose que je dois être à peu-près dans le vrai).
Longue attente, comme d’habitude, dans les bureaux de Modconf ou l’on a tout son temps. Madame Costachioiu est pratiquement toujours très stressée. Je la comprends.
Avec la venue du printemps tout commence à fleurir et à verdir. L’air embaume, c’est revigorant. C’est la période de l’année que je préfère pour la pêche. Mais dans les environs directs de Bucarest, « ça ne donne pas ». Il faut aller plus loin dans le Delta du Danube et il est impératif de connaître les bons coins. Expédition de 4 h de route, passage en bateau et derniers km en canaux fait en barque à moteur. Tout un programme. Cela prend du temps, 3 a 4 jours avec une bonne préparation du matériel de pêche. Il faut déjouer les courants forts, les arbres submergés, les algues flottantes, les rochers, les mauvais endroits. Il faut connaître les mœurs des poissons à pêcher, connaître leur mode de nourriture en fonction des saisons et se rendre sur place avec le bon compagnon. Un peu de chance ne fait pas de mal non-plus…
Les temps changent.
Hier, en revenant de Brâila, j’ai croisé un paysan avec sa charrette, le centième ce jour là… Portant sa chapka traditionnelle, pantalon de toile bleue, bottes en caoutchouc éculées, pull-over noir élimé et… Coupe-vent Nike ! Voilà le progrès apporté par le libéralisme en Roumanie !
Long chemin de croix pour le peuple. Europe mythique, rêve nébuleux, lointaine et quasi-inaccessible opulence du bien-être social…
27/04/01. 10h05. Usine Fashion Dufo, Bucarest.
Nouvelle usine, nouvelles productions, nouveau contrat, nouvelle saison.
Demain, Kay part pour 15 jours en Belgique. Georgiana et moi partons dimanche en voiture pour arriver lundi soir. Nous resterons probablement jusqu’au 7 mai et en profiterons pour visiter les Ardennes belges. Chose que je lui ai promis depuis longtemps.
Au boulot, en Belgique, il y pas mal de choses à faire : Marc doit légaliser une chiée de documents afin de permettre l’augmentation de capital en Roumanie et me vendre 10% du capital social de ladite firme avant augmentation. (Je n’ai pas les reins assez solides pour racheter 10% après augmentation…) Ce qui doit surtout consolider ma situation officielle en Roumanie.
Bxl. Av. V. Rousseau. 02/05/01. 19h35.
Voilà. Nous sommes revenus en ce lieu depuis dimanche soir. J’ai travaillé aujourd’hui. Georgiana a fait des achats à la rue Neuve… La malheureuse est au lit ; elle a mangé un sandwich au thon et se sent maintenant barbouillée. Problème roumain. Nourriture trop pauvre lors de l’enfance qui génère de problèmes de foie et de vésicule biliaire. Son foie, depuis que nous nous connaissons a toujours été faible.
Nous devons aller dîner chez mon frère ce soir mais je crois que j’irais seul… Georgiana ne sera pas remise sur pieds d’ici une demi-heure. Elle a déjà eu de pareilles crises en Roumanie, elles durent longtemps, malheureusement.
Chez Buldo et Monique, mes voisins et amis du rez-de-chaussée, c’est la totale. Ils en sont à la séparation. Monique cherche un appart. Avec sa frangine. Des problèmes de couple partout. Mieux vaut ne pas etre accompagné du tout que de l’être mal. Heureusement pour Georgiana et moi que cela marche d’enfer.
Kay est chez sa mère. Pas de nouvelles, donc bonnes nouvelles. Je crois qu’à part sa crise d’adolescence, elle en a plein le dos de la Roumanie. Je ne saurais la blâmer. Ce n’est pas facile. Même si les enfants s’adaptent vite, c’est un gros choc psychologique.
12/05/01. 21h35. Aéroport d’Otopeni.
Deuxième venue à l’aéroport, une fois pour prendre Dan Harnet, un ami du basket en Belgique et cette fois pour Kay qui revient de chez sa mère.
Dan est d’origine roumaine. Il est venu pour savoir s’il existe une opportunité de reprendre possession des biens immobiliers qui autrefois ont appartenu à sa famille et qui ont été confisqués par le régime communiste. Surprise, les immeubles existent toujours. Nous les avons retrouvés la dernière fois, lui et moi, à deux pas de l’hôtel ou il était descendu. Cachoterie du destin.
J’ai joué plusieurs années au basket avec Dan, mais je le connais depuis longtemps, depuis le temps ou Eric vendait des voitures d’occasion et partageait un terrain avec lui le long du canal à Anderlecht.
Je suis au bar de l’aéroport, à la salle des arrivées. Un Ballantine’s, une clope. La serveuse, grande fille teinte en acajou, a un tic : elle remonte la lèvre inférieure lorsqu’elle exécute une manœuvre qui exige de la concentration… Remplir un verre par exemple…
Il n’y a que des mecs au comptoir en forme ovale. Conversations feutrées. Sauf un homme d’un age certain et à la mise pauvre qui relance les consommateurs à la cantonade, arborant une barbe frisée et des lunettes à la fine monture noire. On lui sert un café dans une petite bouteille en plastique ayant contenu de l’eau minérale et on lui file un sac plein de graines de tournesol. Gratos. Avec la bénédiction du chef. Un pauvre qui survit par les bonnes grâces du personnel du bar. Il n’arrête pas de se confondre en remerciement et bénédictions à l’adresse de la barmaid qui ne lui répond pas, vacant à ses occupations. Résigné face à ce manque d’attention, il se casse. Le café est bon.
Dan était ému et excité à la vue des bâtiments familiaux. Surtout qu’il n’a vécu ici que jusqu’à ses cinq ans. Il a habité dans l’un d’eux. Il n’était jamais revenu en Roumanie et pratiquement aucun souvenir ne lui etait resté en mémoire. Mais à la vue de la maison de son enfance il s’est exclamé : « Je me souviens ! »
Dire que nous nous étions perdus de vue pendant 2 ans et voilà que grâce à cette décision de récupérer ses avoirs familiaux nous nous sommes retrouvés. Prétendre que nous étions de grands amis serait exagéré, mais le fait de nous revoir ici dans le pays de sa jeunesse et pays devenu ma patrie d’adoption nous a subitement rapprochés. Une chiée de barrières s’est écroulée. Il s’est mis à me confier des choses qu’il n’a sûrement confié qu’à très peu de personnes. Moi qui vis ici et qui suis marié à une Roumaine peux le comprendre.
Il va être 10h00 du soir et le coucou ne s’est toujours pas posé. Je suppose que Kay doit être impatiente.
Demain, nous partirons à Sinaia, 140 km dans le nord, aux pieds des Carpates, visiter le palais de Carol I avec Kay, Georgiana et Dan. Il faut quand-même qu’il voie quelque chose avant de rentrer car il ne reste que jusqu’à mercredi. Surtout que le site en vaut vraiment la peine.
Notre nouvelle voiture, une Renault Mégane break, nous donne entière satisfaction. Je l’ai depuis lundi. Georgiana m’a dit : « J’adore son cul ! » C’est vrai, cette bagnole a un cul sexy… On dirait presque le cul de Georgiana !…